Justela fin du Monde & ses oeuvres complĂ©mentaires COMMENTAIRES LINÉAIRES Def : Soliloque : discours d'une personne qui se parle Ă  elle-mĂȘme ou qui pense tout haut Juste la Retrouveztout le casting du film Juste La Fin Du Monde rĂ©alisĂ© par Xavier Dolan avec Gaspard Ulliel, Nathalie Baye, LĂ©a Seydoux Juste la fin du monde. Antoine, le frĂšre de Louis, expose dans une longue tirade l'ambivalence de sa relation Ă  Louis, entre le ressentiment et l'amour compassionnel. justela fin du monde analyse de texte. Home; Themes; Blog; Location; About; Contact marrede la dictature sanitaire; airbag spark 2 problĂšme; thenie per djalin; dĂ©montage structure mĂ©tallique; julie bertin benoĂźt paire; prendre rendez vous toilettage jardiland bonneuil juste la PiĂšcede théùtre publiĂ©e en 1990 par le dramaturge JJL, mort 5 ans plus tard, Juste la fin du monde Ă©voque, entre autres, des thĂšmes forts comme la solitude, l'incommunicabilitĂ© et la 1805/22 Français Juste fin monde JEAN-LUC LAGARCE Fiche d'identitĂ© TITRE: Juste la fin du monde AUTEUR: Jean-Luc Lagarce DATE: 1990 MOUVEMENT LITTERAIRE: aucun mais . Juste la fin du Monde, Jean-Luc Lagarce, 1990 ScĂšne 9 texte fiche juste la fin du monde scĂšne 9 La MĂšre. – C’est l’aprĂšs-midi, toujours Ă©tĂ© ainsi le repas dure plus longtemps, on n’a rien Ă  faire, on Ă©tend ses jambes. Catherine. – Vous voulez encore du cafĂ© ? Suzanne. – Tu vas le vouvoyer toute la vie, ils vont se vouvoyer toujours ? Antoine. – Suzanne, ils font comme ils veulent ! Suzanne. – Mais merde, toi, Ă  la fin ! Je ne te cause pas, je ne te parle pas, ce n’est pas Ă  toi que je parle ! Il a fini de s’occuper de moi, comme ça, tout le temps, tu ne vas pas t’occuper de moi tout le temps, je ne te demande rien, qu’est-ce que j’ai dit ? Antoine. – Comment est-ce que tu me parles ? Tu me parles comme ça, jamais je ne t’ai entendue. Elle veut avoir l’air, c’est parce que Louis est lĂ , c’est parce que tu es lĂ , tu es lĂ  et elle veut avoir l’air. Suzanne. – Qu’est-ce que ça a avoir avec Louis ? Qu’est-ce que tu racontes ? Ce n’est pas parce que Louis est lĂ , qu’est-ce que tu dis? Merde, merde et merde encore ! Compris ? Entendu ? Saisi ? Et bras d’honneur si nĂ©cessaire ! VoilĂ , bras d’honneur ! La MĂšre. – Suzanne ! Ne la laisse pas partir, qu’est-ce que c’est que ces histoires ? Tu devrais la rattraper ! Antoine. – Elle reviendra. Louis. – Oui, je veux bien, un peu de cafĂ©, je veux bien. Antoine . – Oui, je veux bien, un peu de cafĂ©, je veux bien. » Catherine. – Antoine ! Antoine. – Quoi ? Louis. – Tu te payais ma tĂȘte, tu essayais. Antoine. – Tous les mĂȘmes, vous ĂȘtes tous les mĂȘmes ! Suzanne ! Catherine. – Antoine ! OĂč est-ce que tu vas ? La MĂšre. – Ils reviendront. Ils reviennent toujours. Je suis contente, je ne l’ai pas dit, je suis contente que nous soyons tous lĂ , tous rĂ©unis. OĂč est-ce que tu vas ? Louis ! Catherine reste seule. Au dĂ©but de “juste la fin du monde”, on perçoit l’énervement d’Antoine qui va Ă©voluer graduellement. Lorsque les mots ne peuvent ĂȘtre dits, la violence finit par surgir comme dans la scĂšne 2 de la 2e partie avec la libĂ©ration de la parole d’Antoine. repĂšre JL Lagarce analyse Dans l’article prĂ©cĂ©dent, nous nous sommes intĂ©ressĂ©s Ă  la crise du langage tout en rappelant la problĂ©matique choisie en quoi ce drame est-il placĂ© sous le signe de l’étrangetĂ© ? Nous avons analysĂ© l’intermĂšde situĂ© entre la 1e et la 2e parties faisant surgir un vĂ©ritable dialogue de sourds. Il reste que la crise du langage dĂ©rive vers une forme de violence. En effet, c'est le cas lorsque les mots ne trouvent pas Ă  dire. Antoine, le cadet, incarne cette violence tout le long de cette piĂšce. On note un effet crescendo passant de l’énervement Ă  la colĂšre. On note qu’elle se cristallise dans le face Ă  face entre les deux frĂšres dans les scĂšnes suivantes premiĂšre prise de parole de Louis partie 1, scĂšne 10 menace d'Antoine partie 2, scĂšne 2 LibĂ©ration de la parole de Louis partie 2, scĂšne 3. Nous reprendrons quelques extraits avec la mĂ©thode des 6 GROSSES CLEFS ©qui se dĂ©compose comme suit Gr grammaire C Conjugaison OS oppositions le champ lexical SE les 5 sens FS figures de style Énervement À la vue de son frĂšre, Antoine Ă©prouve de l’énervement qu’il refrĂšne difficilement. On a montrĂ© prĂ©cĂ©demment, le transfert de responsabilitĂ© qui a pesĂ© sur ses Ă©paules depuis le dĂ©part de Louis. Au lieu d’exprimer sa colĂšre Ă  l’égard de son aĂźnĂ©, il la rĂ©serve Ă  sa sƓur, Ă  sa femme, Ă  sa mĂšre. Son mauvais caractĂšre Ă©tant reconnu par tous, ses propos rapidement injurieux sont acceptĂ©s comme des paroles banales “ANTOINE.— Suzanne, fous-nous la paix ! 1ere partie, scĂšne 1 ANTOINE.—Ta gueule, Suzanne ! intermĂšde, scĂšne 8” On note mĂȘme de l’ironie avec l'antiphrase “Antoine- Cela va ĂȘtre de ma faute. Une si bonne journĂ©e.” partie 1, scĂšne 2 A l’inverse de son frĂšre, Louis demeure tout le long de la piĂšce calme et quasi silencieux. Loin d’apaiser les choses, cette placiditĂ© aggrave la situation. Calme Louis est prĂ©sentĂ© comme un ĂȘtre taiseux qui ne s’énerve jamais. Ce tableau est dressĂ© par sa mĂšre qui le connaĂźt bien “Tu rĂ©pondras Ă  peine deux ou trois mots et tu resteras calme comme tu appris Ă  l’ĂȘtre par toi-mĂȘme –ce n’est pas moi ou ton pĂšre, ton pĂšre encore moins, ce n’est pas nous qui t’avons appris cette façon si habile et dĂ©testable d’ĂȘtre paisible en toutes circonstances, je ne m’en souviens pas ou je ne suis pas responsable– tu rĂ©pondras Ă  peine deux ou trois mots, ou tu souriras, la mĂȘme chose, tu leur souriras et ils ne se souviendront, plus tard ensuite, par la suite, le soir en s’endormant, ils ne se souviendront que de ce sourire, c’est la seule rĂ©ponse qu’ils voudront garder de toi, et c’est ce sourire qu’ils ressasseront et ressasseront encore, rien ne sera changĂ©, bien au contraire, et ce sourire aura aggravĂ© les choses entre vous, ce sera comme la trace du mĂ©pris, la pire des plaies” 1e partie, scĂšne 8 L’usage du futur prĂ©sente un aspect de prĂ©vision certaine qui entre en rĂ©sonance avec les connecteurs de temps “plus tard, ensuite”. Cet extrait traite de l’opposition entre la placiditĂ© de Louis exprimĂ©e par l'adjectif “calme” et la formulation “façon si habile et dĂ©testable” on comprend que cette attitude n’est pas valorisĂ©e. On relĂšve aussi l’opposition entre sourire et mĂ©pris ; le premier Ă©tant considĂ©rĂ© comme une marque de dĂ©dain. Puis, vient le temps du face Ă  face entre les frĂšres. PremiĂšre prise de parole de Louis C’est Ă  la derniĂšre scĂšne scĂšne 10 de la partie 1 que Louis va engager une vĂ©ritable conversation. Cela marque sa premiĂšre prise de parole il adopte enfin un rĂŽle actif ; et c’est face Ă  son frĂšre qu’il parle et Ă©voque son arrivĂ©e. “Je ne suis pas arrivĂ© ce matin, j’ai voyagĂ© cette nuit” ligne 1. Mais la conversation est aussitĂŽt empĂȘchĂ©e par Antoine qui coupe court Ă  la discussion “Pourquoi est-ce que tu me racontes ça ?" ligne 10. Il adopte un ton agressif, refuse de l'Ă©couter avant de quitter la scĂšne. La tension entre les frĂšres monte d’un cran avec la scĂšne 2 de l’acte 2. Menace d’Antoine Lorsque les mots ne peuvent pas ĂȘtre dits, la violence finit, en effet, par surgir. Dans l’extrait ci-dessous, on voit qu’Antoine n’arrive plus Ă  se contenir et que sa parole doit se libĂ©rer. Malheureusement, les mots ont du mal Ă  ĂȘtre Ă©noncĂ©s, c'est confus
 “ANTOINE. – Je n’ai rien dit, ne me touche pas ! Faites comme vous voulez, je ne voulais rien de mal, je ne voulais rien faire de mal, il faut toujours que je fasse mal, je disais seulement, cela me semblait bien, ce que je voulais juste dire – toi, non plus, ne me touche pas ! – je n’ai rien dit de mal, je disais juste qu’on pouvait l’accompagner, et lĂ , maintenant, vous en ĂȘtes Ă  me regarder comme une bĂȘte curieuse, il n’y avait rien de mauvais dans ce que j’ai dit, ce n’est pas bien, ce n’est pas juste, ce n’est pas bien d’oser penser cela, arrĂȘtez tout le temps de me prendre pour un imbĂ©cile ! il fait comme il veut, je ne veux plus rien, je voulais rendre service, mais je me suis trompĂ©, il dit qu’il veut partir et cela va ĂȘtre de ma faute, cela va encore ĂȘtre de ma faute, ce ne peut pas toujours ĂȘtre comme ça, ce n’est pas une chose juste, vous ne pouvez pas toujours avoir raison contre moi. cela ne se peut pas, je disais seulement, je voulais seulement dire et ce n'Ă©tait pas en pensant mal, je disais seulement, je voulais seulement dire... LOUIS. - Ne pleure pas. ANTOINE. - Tu me touches je te tue.” 2e partie, scĂšne 2 Dans cet extrait, on voit l’émotion d’Antoine qu'il a du mal Ă  refouler avec les oppositions entre les pronoms personnels je/vous. Il est tellement bouleversĂ© qu’il cherche ses mots, il les rĂ©pĂšte plusieurs fois de diffĂ©rentes maniĂšres. Le verbe “dire” est au cƓur de son explication. Cette difficultĂ© Ă  s'exprimer est accentuĂ©e avec le terme “juste” pris dans les deux sens, l’un adverbial avec le sens de seulement, et l’autre adjectif avec le sens Ă©quitable. Son phrasĂ© est lent, maladroit. Il retrouve de la vigueur face Ă  la gentillesse de son frĂšre avec l’impĂ©ratif, “Ne pleure pas” ayant la forme d’un conseil. C’est alors qu’Antoine menace son frĂšre avec une phrase lapidaire “Tu me touches je te tue.” on entrevoit l’opposition franche entre les deux frĂšres avec je/tu et touches/tue. C’est un face Ă  face terrible jusque lĂ  diffĂ©rĂ©. DĂšs lors, il n’y a pas d’autre solution que le dĂ©part de Louis, conseillĂ©, cette fois, par Catherine et la mĂšre. Cette crise personnelle et familiale est Ă  son acmĂ©, comme une catharsis qui permet de purger les passions. Cela permet Ă  Antoine de dire ce qu’il a sur le cƓur dans un mouvement de libĂ©ration. La libĂ©ration de la parole d’Antoine Antoine livre ce qu’il a sur le cƓur depuis des annĂ©es il Ă©voque cette incomprĂ©hension, ce malentendu entre eux, cet amour déçu. Puis il conclut dans l’extrait ci-dessous ... Je te vois, j’ai encore plus peur pour toi que lorsque j’étais enfant, et je me dis que je ne peux rien reprocher Ă  ma propre existence, qu’elle est paisible et douce et que je suis un mauvais imbĂ©cile qui se reproche dĂ©jĂ  d’avoir failli se lamenter, alors que toi, silencieux, ĂŽ tellement silencieux, bon, plein de bontĂ©, tu attends, repliĂ© sur ton infinie douleur intĂ©rieure dont je ne saurais pas mĂȘme imaginer le dĂ©but du dĂ©but. Je ne suis rien, je n’ai pas le droit, et lorsque tu nous quitteras encore, que tu me laisseras, je serai moins encore, juste lĂ  Ă  me reprocher les phrases que j’ai dites, Ă  chercher Ă  les retrouver avec exactitude, moins encore, avec juste le ressentiment, le ressentiment contre moi-mĂȘme. Louis ? LOUIS.— Oui ? ANTOINE.—J’ai fini. Je ne dirai plus rien. Seuls les imbĂ©ciles ou ceux-lĂ , saisis par la peur, auraient pu en rire. LOUIS.—Je ne les ai pas entendus. 2e partie, scĂšne 3 Dans cet extrait final, il est intĂ©ressant de voir la fluiditĂ© des idĂ©es et de la parole d’Antoine. Il ne cherche plus ses mots, il adopte un ton calme, mesurĂ©, celui de la confession. En effet, il emploie des subordonnĂ©es conjonctives “que je ne peux rien reprocher”/relatives “ imbĂ©cile qui se reproche” qu’il enchaĂźne avec des conjonctions de coordination “et”. On ne l’arrĂȘte plus. Il manie l’ironie Ă  la fois contre lui-mĂȘme en se traitant “d’imbĂ©cile”, mais surtout contre son aĂźnĂ© “repliĂ© sur ton infinie douleur intĂ©rieure”. Il l’a percĂ© Ă  jour, il ne veut plus sans laisser compter. A ce stade de la scĂšne, Antoine conclut “je serai moins encore, juste lĂ  Ă  me reprocher les phrases que j’ai dites,” Il recourt Ă  un comparatif d’infĂ©rioritĂ© pour rompre avec la culpabilitĂ© et la colĂšre qui l’a rongĂ© depuis lors. La rĂ©action de Louis est intĂ©ressante, car il donne Ă  comprendre qu’il a compris son frĂšre. Mais il le dit de maniĂšre dĂ©tournĂ©e, en recourant Ă  une litote “Seuls les imbĂ©ciles ou ceux-lĂ , saisis par la peur, auraient pu en rire. LOUIS.—Je ne les ai pas entendus.” S’il n’a pas entendu les ricaneurs, cela signifie donc qu’il est du cĂŽtĂ© de son frĂšre. Il sous-entend qu’il a compris son point de vue. Mais il ne peut pas le dire plus explicitement puisque dans cette famille, “rien jamais ici ne se dit facilement” partie 2, scĂšne 3 Dans l’article suivant, nous verrons le choix du dramaturge de recourir dans cette crise du langage aux monologues. repĂšres le recours aux monologues dans “juste la fin du monde” Lagarce Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde - Partie II, scĂšne 2 Commentaire composĂ©. DerniĂšre mise Ă  jour 30/11/2021 ‱ ProposĂ© par jllesaint Ă©lĂšve Texte Ă©tudiĂ© ANTOINE. — [...] Catherine, aide-moi, je ne disais rien, on rĂšgle le dĂ©part de Louis, il veut partir, je l’accompagne, je dis qu’on l’accompagne, je n’ai rien dit de plus, qu’est-ce que j’ai dit de plus ? Je n’ai rien dit de dĂ©sagrĂ©able, pourquoi est-ce que je dirais quelque chose de dĂ©sagrĂ©able, qu’est-ce qu’il y a de dĂ©sagrĂ©able Ă  cela, y a-t-il quelque chose de dĂ©sagrĂ©able Ă  ce que je dis ? Louis ! Ce que tu en penses, j’ai dit quelque chose de dĂ©sagrĂ©able ? Ne me regardez pas tous comme ça ! CATHERINE. — Elle ne te dit rien de mal, tu es un peu brutal, on ne peut rien te dire, tu ne te rends pas compte, parfois tu es un peu brutal, elle voulait juste te faire remarquer. ANTOINE. — Je suis un peu brutal ? Pourquoi tu dis ça ? Non. Je ne suis pas brutal. Vous ĂȘtes terribles, tous, avec moi. LOUIS. — Non, il n’a pas Ă©tĂ© brutal, je ne comprends pas ce que vous voulez dire. ANTOINE. — Oh, toi, ça va, la BontĂ© mĂȘme » ! CATHERINE. — Antoine. ANTOINE. — Je n’ai rien, ne me touche pas ! Faites comme vous voulez, je ne voulais rien de mal, je ne voulais rien faire de mal, il faut toujours que je fasse mal, je disais seulement, cela me semblait bien, ce que je voulais juste dire – toi, non plus, ne me touche pas ! – je n’ai rien dit de mal, je disais juste qu’on pouvait l’accompagner, et lĂ , maintenant, vous en ĂȘtes Ă  me regarder comme une bĂȘte curieuse, il n’y avait rien de mauvais dans ce que j’ai dit, ce n’est pas bien, ce n’est pas juste, ce n’est pas bien d’oser penser cela, arrĂȘtez tout le temps de me prendre pour un imbĂ©cile ! il fait comme il veut, je ne veux plus rien, je voulais rendre service, mais je me suis trompĂ©, il dit qu’il veut partir et cela va ĂȘtre de ma faute, cela va encore ĂȘtre de ma faute, ce ne peut pas toujours ĂȘtre comme ça, ce n’est pas une chose juste, vous ne pouvez pas toujours avoir raison contre moi, cela ne se peut pas, je disais seulement, je voulais seulement dire et ce n’était pas en pensant mal, je disais seulement, je voulais seulement dire... LOUIS. — Ne pleure pas. ANTOINE. — Tu me touches je te tue. LA MERE. — Laisse-le, Louis, laisse-le maintenant. Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde - Partie II, scĂšne 2 Jean Luc Lagarce nĂ© en 1957 et mort en 1995 est un auteur dramatique contemporain et metteur en scĂšne du XXe siĂšcle, il publie en 1990 Juste avant la fin du monde, une piĂšce de théùtre. Dans la scĂšne 2 de la partie 2, Louis, hĂ©ros principal de la piĂšce, revient aprĂšs une longue absence annoncer sa mort prochaine Ă  sa famille. Son frĂšre et sa sƓur se disputent, et il finira par repartir sans rien leur dire. Ainsi nous pourrons nous demander dans quelle mesure cette scĂšne montre l’échec de la communication pour Ă©viter les conflits. Pour cela, nous aborderons dans un premier temps les tensions qui posent un problĂšme de communication au sein de la famille. Dans un deuxiĂšme temps, nous analyserons la violence qui finit par dominer la scĂšne, en se substituant Ă  la communication. I. Des tensions qui brouillent la communication Antoine, le frĂšre du hĂ©ros, est en colĂšre contre Suzanne, leur sƓur. Elle lui reproche des choses qui selon lui sont fausses. La tension entre les membres de la famille est de ce fait palpable. a Chaque personnage est impliquĂ© Antoine exprime sa colĂšre je ne disais rien .. je n'ai rien dit de plus ... je n'ai rien dit » lignes 2,5,7. Il se rĂ©pĂšte pour prouver son innocence. Il continue en se questionnant y-a-t-il quelque chose de dĂ©sagrĂ©able Ă  ce que je dis ? » puis prend son frĂšre Ă  tĂ©moin Louis! ... j'ai dit quelque chose de dĂ©sagrĂ©able ? » Antoine est indignĂ© Ne me regardez pas comme ça ! » Catherine la femme d’Antoine prend Ă  son tour partie et dĂ©fend Suzanne Elle ne te dit rien de mal ». Elle juge son mari en l'accusant d'ĂȘtre une brute tu es un peu brutal » et continue en lui disant on ne peut rien te dire » b Une difficultĂ© de communication, accentuĂ©e par la paranoĂŻa d'Antoine Antoine par la suite s'interroge Ă  nouveau Je suis un peu brutal ? Pourquoi tu dis ça ? » Ce questionnement rhĂ©torique nous donne l'impression qu'il est paranoĂŻaque. Il croit que tout le monde est contre lui Vous ĂȘtes terribles,tous avec moi » Cela accentue sa possible paranoĂŻa. Louis essaie de dĂ©fendre Antoine mais celui-ci le brime en le surnommant la bontĂ© mĂȘme » L'auteur emploie ici une antiphrase. Il se met en position de victime ce n'est pas bien, ce n'est pas juste » arrĂȘtez...de me prendre pour un imbĂ©cile ! » Il emploie un rythme redondant et amplifie ses propos. Antoine n'arrive pas Ă  communiquer, et finit par substituer Ă  ses difficultĂ©s de communication un comportement violent. II. La violence d'Antoine se substitue Ă  la communication a L'agressivitĂ© d'Antoine Antoine finit par devenir violent, il repousse sa femme Je n'ai rien ne me touche pas » Il poursuit avec toi, non plus, ne me touche pas ! » il devient agressif, il insinue qu'on le prend pour un monstre comme une bĂȘte curieuse » il se compare Ă  une bĂȘte. Quand Louis essaie de le consoler Ne pleure pas », il se fait aussitĂŽt rejeter Tu me touches je te tue ». Il finit ainsi son dialogue par une menace de mort. b Le dĂ©sespoir d'Antoine Antoine finit par lĂącher prise et ne dĂ©sire plus rien il fait comme il veut, je ne veux plus rien » Il a perdu toute conviction, il pense que c'est injuste ce qui lui arrive et il le fait savoir ce ne peut pas... ce n'est pas une chose juste, vous ne pouvez pas... cela ne se peut pas. » Il est accablĂ© sous les reproches. Il bafouille et se rĂ©pĂšte et ne finit pas ses phrases je voulais seulement dire... » Il finit par succomber Ă  la pression et finit par pleurer. Leur mĂšre intervient et ordonne Ă  Louis de s'Ă©loigner Laisse-le, Louis, laisse-le maintenant. », ce qui met fin Ă  la discussion. Conclusion En dĂ©finitive Antoine est un Ă©ternel incompris, il ne sait pas exprimer ses sentiments et se sent offensĂ© et attaquĂ© par tous. Il en devient paranoĂŻaque et violent. Les tensions naissantes dans cette scĂšne se sont ainsi transformĂ©es en violence. Louis lui, dans ce passage, est constamment agressĂ© par son frĂšre aĂźnĂ©, qui menace mĂȘme de le tuer. L'auteur met en avant la rage d'Antoine en laissant du coup Louis de cĂŽtĂ©. Louis a bien essayĂ© d'arranger les choses, mais en vain. Il partira sans avoir pu leur annoncer son funeste destin. La violence a dĂšs pris le pas sur la communication, qui a empĂȘchĂ© la principale raison de la venue de Louis. Commentaire linĂ©aire Partie 1 scĂšne 1 de Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce Introduction Dans Le Pays Lointain, la derniĂšre piĂšce que Jean-Luc Lagarce Ă©crit avant sa mort, on retrouve le personnage de Louis, cette fois entourĂ© par des figures du passĂ©, comme l'ami de longue date
 LONGUE DATE. — Revenir aprĂšs tant d'annĂ©es, retrouver ceux-lĂ  qui firent ta vie, qui furent ta vie et espĂ©rer reprendre la conversation lĂ  oĂč tu l'avais abandonnĂ©e — oĂč est-ce que nous en Ă©tions, dĂ©jĂ  — ce ne sera guĂšre possible. Tu le sais. Et comme le dit ce personnage, comment Louis pourrait-il reprendre une conversation normale avec les siens, aprĂšs une si longue absence ? Or, c'est prĂ©cisĂ©ment lĂ  que commence notre piĂšce, Juste la fin du monde, et c'est tout l'enjeu de notre passage. Cette scĂšne d'exposition est d’abord un mĂ©lange de prĂ©sentations et de retrouvailles, notamment parce que Louis n'a jamais rencontrĂ© Catherine, sa belle-sƓur. Mais ce sont aussi des prĂ©sentations pour le public, qui devine dans ces conventions, des liens distendus par le poids de l'absence et des non-dits. Dans ces retrouvailles, tout est sensible, sujet Ă  interprĂ©tation, les gestes sont des messages, et inversement, les mots peuvent blesser. Louis pourra-t-il annoncer ce qui l'amĂšne ? Des indices semblent dire qu'il est probablement dĂ©jĂ  trop tard... Comment cette scĂšne d'exposition nous montre-t-elle que les liens entre les personnages sont peut-ĂȘtre dĂ©jĂ  irrĂ©mĂ©diablement affectĂ©s par le poids de l'absence ? Je vais annoncer les mouvements au fur et Ă  mesure de l'analyse, et citer le texte trĂšs clairement, pour que vous puissiez bien suivre. Pour retrouver tous mes documents et toutes mes vidĂ©os sur cette Ɠuvre, rendez-vous sur mon site www . mediaclasse . fr Premier mouvement v. 1 Ă  17 Le temps des prĂ©sentations Ce premier mouvement, on pourrait l'appeler le temps des prĂ©sentations » parce qu'on entre dans la piĂšce, non pas in medias res au milieu de l'action mais logiquement par des prĂ©sentations qui nous informent sur ces personnages qui se rencontrent ou qui se retrouvent, comme un nouveau dĂ©part SUZANNE. — C’est Catherine. Elle est Catherine. Catherine, c’est Louis. VoilĂ  Louis. Catherine. Et pourtant l'importance que prennent ces prĂ©sentations rĂ©vĂšle bien dĂ©jĂ  le poids du passĂ© Catherine reprĂ©sente l'Ă©lĂ©ment nouveau dans la famille
 Va-t-elle modifier les Ă©quilibres ? On peut en douter quand on voit le chiasme la structure en miroir qui reprĂ©sente plutĂŽt une boucle ou un piĂšge, c'est mauvais signe
 Catherine », le nom propre, sera aussi le dernier mot de la premiĂšre partie, comme si tout l'enjeu de la premiĂšre moitiĂ© de la piĂšce, c'Ă©tait justement d'Ă©liminer cet espoir qu'une nouvelle personne puisse modifier les Ă©quilibres du passĂ©. CATHERINE. — Moi, je ne compte pas et je ne rapporterai rien, je suis ainsi [...] ce n’est pas mon rĂŽle. Mais pour l'instant, tous les espoirs sont permis, ce qui explique l'excitation de Suzanne ses vers sont trĂšs courts, ils reviennent sans cesse Ă  la ligne. Chez Lagarce, les vers libres remplacent avantageusement les didascalies
 Symboliquement, c'est l'excitation des retrouvailles, et donc, le poids de l'absence passĂ©e, qui dĂ©coupe ces vers et guide le ton de Suzanne, aussi sĂ»rement qu'un metteur en scĂšne. Antoine commente d'ailleurs tout de suite l'agitation de sa petite sƓur ANTOINE. — Suzanne, s’il te plaĂźt, tu le laisses avancer, laisse- le avancer. CATHERINE. — Elle est contente. ANTOINE. — On dirait un Ă©pagneul. On comprend que Louis ne peut pas avancer vers Catherine parce qu'il est bloquĂ© par Suzanne qui se trouve entre les deux. Symboliquement, il est bloquĂ© par le passĂ©, il ne peut pas avancer, c'est-Ă -dire, aller vers une rĂ©solution de l'intrigue. Souvent dans le théùtre de l'absurde, on retrouve ce dĂ©tournement du schĂ©ma narratif est-ce qu'on est au dĂ©but, au moment oĂč l'intrigue se noue, ou bien est-ce qu'on est dĂ©jĂ  aprĂšs la fin ? L'expression d'Antoine est amusante et rĂ©vĂ©latrice On dirait un Ă©pagneul ». L'Ă©pagneul, c'est un chien de chasse est-ce qu'il saute autour d'une proie qu'il a trouvĂ©e, ou bien, est-ce qu'il fait la fĂȘte Ă  son maĂźtre ? Cela rĂ©vĂšle bien l'ambivalence de Louis. Et indirectement pour nous, le public, c'est aussi rĂ©vĂ©lateur du personnage d'Antoine, qui compare sa sƓur Ă  un petit chien il n'est pas trĂšs aimable, il n'hĂ©site pas Ă  utiliser l'impĂ©ratif. On devine que contrairement aux autres, il ne se plie pas si facilement aux conventions de politesse. C'est alors la mĂšre qui prend la parole, mais de maniĂšre paradoxale, Ă©coutez LA MÈRE. — Ne me dis pas ça, ce que je viens d’entendre, c’est vrai, j’oubliais, ne me dites pas ça, ils ne se connaissent pas. Louis, tu ne connais pas Catherine ? Tu ne dis pas ça, vous ne vous connaissez pas, jamais rencontrĂ©s, jamais ? ANTOINE. — Comment veux-tu ? Tu le sais trĂšs bien. LOUIS. — Je suis trĂšs content. CATHERINE. — Oui, moi aussi, bien sĂ»r, moi aussi. Catherine. Quand on sait ce que Louis veut annoncer, cette intervention Ne me dis pas ça » avec l'impĂ©ratif et la nĂ©gation, semble dĂ©jĂ  annoncer l'Ă©chec final. Dans une tragĂ©die, on dirait que c'est un effet d'ironie tragique, une allusion au destin que les personnages eux-mĂȘmes ignorent... La rĂ©plique de la mĂšre est d'autant plus Ă©trange qu'elle ne rĂ©pond pas du tout Ă  Antoine ça, ce que je viens d'entendre » renvoie en fait Ă  un sous-entendu qui n'est formulĂ© qu'aprĂšs ils ne se connaissent pas ». C'est une cataphore le pronom renvoie Ă  un Ă©lĂ©ment qui ne vient que plus tard
 On est au plus proche du non-dit, le reproche adressĂ© Ă  celui qui est parti. La forme interrogative aussi donne du poids Ă  cette rĂ©plique Louis, tu ne connais pas Catherine ? Tu ne dis pas ça, vous ne vous connaissez pas, jamais rencontrĂ©s, jamais ? » c'est une question rhĂ©torique, dont la rĂ©ponse est implicite non, ils ne se connaissent pas. Elle n'est pas prononcĂ©e, mais elle rĂ©sonne dans l'esprit de tout le monde. Ce reproche cachĂ© est d'ailleurs toujours prĂ©sent dans la rĂ©plique d'Antoine, mais sous la forme d'un pronom Tu le sais trĂšs bien » qu'on pourrait restituer comme ça tu sais trĂšs bien que Louis a Ă©tĂ© absent pendant toutes ces annĂ©es ». Il insiste d'ailleurs sur ce non-dit avec l'adverbe intensif trĂšs ». DerniĂšre chose frappante dans ce passage tout le monde intervient, Suzanne, Catherine, Antoine, la MĂšre. Mais Louis ne prend la parole qu'en dernier, avec une rĂ©plique courte, trĂšs conventionnelle LOUIS. — Je suis trĂšs content. CATHERINE. — Oui, moi aussi, bien sĂ»r, moi aussi. mouvement v. 18 Ă  31 Le sens cachĂ© des convenances Ce mouvement, on pourrait l'appeler le sens cachĂ© des convenances » parce que Suzanne commente le cĂ©rĂ©monial qui se dĂ©roule sous nos yeux
Un peu comme une spectatrice qui serait montĂ©e sur scĂšne pour jouer les metteuse en scĂšne et corriger les actions des personnages. SUZANNE. — Tu lui serres la main ? LOUIS. — Louis. Suzanne l’a dit, elle vient de le dire. SUZANNE. — Tu lui serres la main, il lui serre la main. Tu ne vas tout de mĂȘme pas lui serrer la main ? Ils ne vont pas se serrer la main, on dirait des Ă©trangers. Il ne change pas, je le voyais tout Ă  fait ainsi, tu ne changes pas, il ne change pas, comme ça que je l’imagine, il ne change pas, Louis, et avec elle, Catherine, elle, tu te trouveras, vous vous trouverez sans problĂšme, elle est la mĂȘme, vous allez vous trouver. Ne lui serre pas la main, embrasse-la. Catherine. C'est lĂ  qu'on voit Ă  quel point les actes ont une valeur de message. Tu lui serres la main 
 il lui serre la main 
 ils ne vont pas se serrer la main 
 ne lui serre pas la main »  le verbe serrer la main » est ainsi rĂ©pĂ©tĂ© 5 fois. C’est si important aux yeux de Suzanne, parce que, par ce geste conventionnel, Louis confirme ce que dit la mĂšre il leur est devenu plus Ă©tranger mĂȘme que Catherine qui fait maintenant partie de la famille. Avec la question rhĂ©torique, les nĂ©gations, l'impĂ©ratif, Suzanne reprend et amplifie les Ă©lĂ©ments de discours de sa mĂšre cette surprise trĂšs théùtrale, pratiquement surjouĂ©e par deux personnages rĂ©vĂšle bien que quelque chose d'anormal se trame sous la simple conversation. C'est d'ailleurs un procĂ©dĂ© courant chez MoliĂšre, notamment dans les scĂšnes d'exposition la surprise permet de dĂ©noncer un comportement excessif. Et si c'Ă©tait ici le retour du Misanthrope ? qui s'Ă©tait jadis isolĂ© du monde ? Si on en revient Ă  Louis, il se prĂ©sente de maniĂšre trĂšs conventionnelle. Avec le prĂ©nom isolĂ© sur une seule ligne, il ne rĂ©vĂšle rien de lui-mĂȘme, il ne rĂ©agit pas au discours de sa mĂšre, il se contente de rĂ©pĂ©ter comme un Ă©cho ce que vient de dire sa sƓur. LOUIS. — Louis. Suzanne l’a dit, elle vient de le dire. Louis », c'est en plus un homophone avec le sens de l'ouĂŻe ils se prononcent pareil. C'est certainement rĂ©vĂ©lateur peut-ĂȘtre que ce personnage est fait, non pas pour parler, mais pour Ă©couter. Il porterait dans son prĂ©nom la fatalitĂ© de son silence. La distance de Louis avec les autres membres de la famille est palpable, notamment dans l'utilisation des pronoms le il » laisse place au tu » qui redevient aussitĂŽt un il ». Il ne change pas, je le voyais tout Ă  fait ainsi, tu ne changes pas, il ne change pas, comme ça que je l’imagine, il ne change pas, Louis, C’est la fameuse figure de l’épanorthose, trĂšs prĂ©sente chez Lagarce les personnages reformulent sans cesse leurs propos. On dirait mĂȘme que dans la derniĂšre phrase, Louis est devenu lui » il ne change pas, lui » comme une troisiĂšme personne incarnĂ©e, distante, Ă  laquelle on ne s'adresse pas directement. Les temps employĂ©s vont dans le mĂȘme sens d'abord l'imparfait, pour des habitudes du passĂ© je le voyais ainsi » L'absence s'est inscrite dans la durĂ©e
 Au contraire, le verbe imaginer » au prĂ©sent d'Ă©nonciation comme ça que je l'imagine » semble dire que, au moment oĂč elle parle, il est absent, ou du moins, inconnaissable. Et enfin, peut-ĂȘtre le plus cruel de tous, le prĂ©sent de vĂ©ritĂ© gĂ©nĂ©rale pour une action vraie en tout temps qui prĂ©dit le silence final il ne change pas, Louis ». Reste Catherine, mais dĂ©jĂ  un indice nous laisse un doute et avec elle, Catherine, elle, tu te trouveras, vous vous trouverez sans problĂšme, elle est la mĂȘme, vous allez vous trouver. Elle est la mĂȘme » est-ce que ça ne veut pas dire qu'elle a les mĂȘmes difficultĂ©s Ă  communiquer que Louis ? On devine dĂ©jĂ  qu'elle n'est pas la mieux placĂ©e pour rĂ©tablir les liens qui ont Ă©tĂ© rompus dans le passĂ©. TroisiĂšme mouvement v. 32 Ă  43 Des liens irrĂ©parables ? Ce troisiĂšme mouvement, on pourrait l'appeler des liens irrĂ©parables » parce que tout vient confirmer la distance qui sĂ©pare chacun des personnages. Antoine le dit tout de suite Suzanne, ils se voient pour la premiĂšre fois » ce qui dĂ©clenche des rĂ©actions en chaĂźne, Ă©coutez ANTOINE. — Suzanne, ils se voient pour la premiĂšre fois ! LOUIS. — Je vous embrasse, elle a raison, pardon, je suis trĂšs heureux, vous permettez ? SUZANNE. — Tu vois ce que je disais, il faut leur dire. LA MÈRE. — En mĂȘme temps, qui est-ce qui m’a mis une idĂ©e pareille en tĂȘte, dans la tĂȘte ? Je le savais. Mais je suis ainsi, jamais je n’aurais pu imaginer qu’ils ne se connaissent, que vous ne vous connaissiez pas, que la femme de mon autre fils ne connaisse pas mon fils, cela, je ne l’aurais pas imaginĂ©, cru pensable. Vous vivez d’une drĂŽle de maniĂšre. Qui adresse la parole Ă  qui dans notre passage ? Antoine rĂ©pond Ă  sa femme — Elle est contente. — On dirait un Ă©pagneul ». Il s'adresse aussi plusieurs fois Ă  sa sƓur Suzanne, s’il te plaĂźt 
 Suzanne, ils se voient pour la premiĂšre fois ! ». Et il s'adresse aussi Ă  sa mĂšre tu le sais trĂšs bien ». Mais ce qui est frappant, c’est qu’il n'y a aucun Ă©change entre les deux frĂšres. Mais mĂȘme le lien entre les autres personnages est remis en question d’une maniĂšre ou d’une autre. Suzanne veut Ă©trangement donner Ă  voir Ă  Antoine, ce qu’elle dit tu vois ce que je disais » comme si sa parole Ă©tait invisible, enfermĂ©e depuis longtemps dans son rĂŽle de quantitĂ© nĂ©gligeable. D’ailleurs la mĂšre n’est certainement pas Ă©trangĂšre Ă  cela. je suis ainsi 
 je n’aurais pu imaginer » elle se voit comme quelqu’un qui ne peut pas concevoir ce qui sort de sa normalitĂ©. Pour elle, il y a son fils Louis et son autre fils » Antoine. On devine dĂ©jĂ  ce qu’on constatera plus tard, sa tendance Ă  mettre des Ă©tiquettes dĂ©finitives sur chacun Antoine brutal, Suzanne nĂ©gligeable, Louis fait ce qu'il a Ă  faire, etc. Or justement Suzanne essaye de jouer les metteuses en scĂšne pour que tout se dĂ©roule selon une certaine image de la normalité  Mais alors, toute la situation devient artificielle les liens qui devraient exister ne sont plus que des liens jouĂ©s. LOUIS. — Je vous embrasse, elle a raison, pardon, je suis trĂšs heureux, vous permettez ? On reconnaĂźt la figure de l’épanorthose, mais cette fois-ci, dans les gestes le geste de serrer la main est remplacĂ© par l’embrassade. Mais on ne peut pas totalement gommer le geste spontanĂ©, quoi qu’on fasse, il laisse une trace. Voire mĂȘme, il devient le message le plus important, qui prend le pas sur tous les autres ! Et en effet le verbe connaĂźtre » est repris trois fois Ă  la forme nĂ©gative, dans une longue Ă©panorthose jamais je n’aurais pu imaginer qu’ils ne se connaissent, que vous ne vous connaissiez pas, que la femme de mon autre fils ne connaisse pas mon fils, cela, je ne l’aurais pas imaginĂ©, cru pensable. Vous vivez d’une drĂŽle de maniĂšre. Le fait que Louis soit en quelque sorte considĂ©rĂ© comme un Ă©tranger, est ensuite repris coup sur coup par des pronoms cela, je ne l'aurais pas imaginĂ© ». Un peu comme si elle retournait le couteau dans la plaie. C’est l’idĂ©e qu’elle a en tĂȘte, dans la tĂȘte » et que Lagarce a mis symboliquement en-tĂȘte de sa piĂšce, au cƓur de ce premier Ă©change entre les personnages. Par ses paroles, la mĂšre fait aussi le geste de s’isoler symboliquement des autres, avec ce vous » vous vivez d'une drĂŽle de maniĂšre » qui englobe tous les autres. Elle ne fait pas de reproche Ă  Louis en particulier, mais Ă  tous, en mĂȘme temps. Alors qu'au dĂ©but, on ne voit que la distance entre Catherine et Louis, on rĂ©alise au fur et Ă  mesure que ce sont tous des Ă©trangers les uns pour les autres
 La derniĂšre phrase du passage est Ă  mon avis la plus cruelle vous vivez d’une drĂŽle de maniĂšre ». L’adjectif DrĂŽle » renvoie naturellement Ă  la comĂ©die et au comique, mais il est utilisĂ© ici de maniĂšre grinçante, ironique il laisse entendre l’inverse de ce qu’il dit. L’action de vivre est lui-mĂȘme remise en cause, un peu comme si l’absence de Louis, et le pĂ©ril des liens familiaux les avait tous dĂ©jĂ  fait entrer dans une mort symbolique. Conclusion Merci Ă  Nicolas Auffray dont les analyses ont contribuĂ© Ă  cette explication linĂ©aire. Dans cette premiĂšre scĂšne, les prĂ©sentations font aussi office d’exposition le spectateur en apprend plus sur les personnages et sur l’intrigue. Mais tout passe sous le discours, dans les gestes, les sous-entendus, les rĂ©actions surjouĂ©es et les effets d’ironie. DĂšs le dĂ©but de la piĂšce, Lagarce nous fait ressentir le poids du passĂ© et des non-dits, et nous laisse mĂȘme dĂ©jĂ  entendre que peut-ĂȘtre, le silence final est inĂ©luctable. Ces gestes imperceptibles, ces signes presque subliminaux qui rĂ©vĂšlent les failles de la communication, on pourrait les rapprocher de ce que Nathalie Sarraute appelle les tropismes, et qu’elle met notamment en scĂšne notamment dans sa piĂšce Pour un oui pour un non
 — Des mots ? Entre nous ? Ne me dis pas qu’on a eu des mots
 ce n’est pas possible
 et je m’en serais souvenu
 — Non, pas des mots comme ça
 d’autres mots
 pas ceux dont on dit qu’on les a eus»  Des mots qu’on n’a pas eus», justement
 Nathalie Sarraute, Pour un oui pour un non, 1981.[...] Soutenez le site et accĂ©dez au contenu complet. ⇹ Outil support pour rĂ©aliser un commentaire composĂ©. ⇹ Lagarce, Juste la fin du monde 🃏 Partie 1 scĂšne 1 axes de lecture ⇹ Lagarce, Juste la fin du monde - Partie 1 scĂšne 1 texte ⇹ Lagarce, Juste la fin du monde 🔎 Partie 1 scĂšne 1 explication linĂ©aire au format PDF ⇹ Lagarce, Juste la Fin du Monde 🎧 Partie 1 scĂšne 1 Explication linĂ©aire en podcast Explication linĂ©aire Partie 2 scĂšne 3 Juste la Fin du monde de Jean-Luc Lagarce Introduction Dans son mĂ©moire de philosophie, Jean-Luc Lagarce dĂ©crit ce qui est pour lui, une dimension importante du rĂŽle du dramaturge Le dramaturge joue les francs-tireurs », refusant d’entrer dans l’institution que les siĂšcles passĂ©s ont construite autour du théùtre il est dĂ©sormais de son devoir de dĂ©monter et de dĂ©montrer les mĂ©canismes de la supercherie. Jean-Luc Lagarce, Théùtre et pouvoir en occident, 1980-2011. HĂ© bien, il semblerait que c'est exactement ce qu'il fait dans Juste la fin du Monde il met en scĂšne un hĂ©ros tragique, Louis, qui reprĂ©sente bien les mĂ©canismes traditionnels Ă  la fois innocent et coupable, Ă©crasĂ© par son destin, il suscite la terreur et la pitiĂ©. En cela il ressemble bien Ă  un certain Oedipe, PhĂšdre ou IphigĂ©nie
 Mais dans notre passage, Antoine nous oblige Ă  poser un nouveau regard sur son frĂšre, l'accusant de jouer un rĂŽle. On est alors obligĂ©s de se demander et si le personnage tragique n'Ă©tait qu'un acteur, jouant les HĂ©ros pour mieux nous sĂ©duire ? Et si quelqu'un osait monter sur scĂšne pour dĂ©noncer la supercherie ? VoilĂ  pourquoi ce passage est le point culminant de la piĂšce Antoine rĂ©vĂšle et dĂ©nonce ce que cachent les attitudes et les silences de Louis. La crise familiale le dĂ©part de Louis c'est un prĂ©cĂ©dent, comme si la piĂšce avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© jouĂ©e une fois. Les rĂŽles sont bouleversĂ©s, ce qui va, non pas dĂ©truire le sentiment tragique, mais en quelque sorte, le dĂ©placer
 Comment Jean-Luc Lagarce utilise-t-il ce drame familial pour rendre visible les stratagĂšmes du personnage tragique ? Je vais annoncer les mouvements et citer le texte trĂšs clairement au fur et Ă  mesure, pour que vous puissiez bien suivre. Pour retrouver tous mes documents et toutes mes vidĂ©os sur cette Ɠuvre, rendez-vous sur mon site Premier mouvement Des accusations en miroir Ce premier mouvement, on pourrait l'appeler Accusations en miroir » parce que Antoine se donne la difficile tĂąche de dĂ©noncer ce qu'il appelle les accusations sans mots de Louis. Tu es lĂ  devant moi, je savais que tu serais ainsi, Ă  m’accuser sans mot, Ă  te mettre debout devant moi Ă  m’accuser sans mot, Accuser sans mot » on touche Ă  l'oxymore l'association de deux idĂ©es incompatibles. Comment peut-on accuser sans mot ? Antoine dit que son frĂšre l'accuse, juste en Ă©tant lĂ , avec le verbe d'Ă©tat. Être coĂŻncide avec une posture, remplace des paroles qui le rendent coupable aux yeux des autres. Ensuite Antoine dĂ©veloppe cette mĂȘme idĂ©e avec une pĂ©riphrase en plusieurs mots te mettre debout devant moi » comme pour mieux transformer le verbe d'Ă©tat en verbe d'action. En latin, se tenir debout, c'est le verbe stare qui participe justement Ă  l'Ă©tymologie du verbe ĂȘtre, et qui donne aussi le mot statue ». Les accusations de Louis, ne passent pas tant par les mots que par les attitudes
 Cette accusation d'Antoine nous invite Ă  relire la piĂšce pour trouver ces moment oĂč en effet Louis rĂ©ussit Ă  rendre Antoine coupable, sans mots. DĂšs la premiĂšre scĂšne de la piĂšce, par exemple je ne t'en veux pas, mais tu m'as mis mal Ă  l'aise ». C'est bien un reproche, mais il est dissimulĂ© par la premiĂšre nĂ©gation, et remplacĂ© par une sensation physique de gĂȘne. Autre exemple, juste avant notre passage LOUIS. — Il n'a pas Ă©tĂ© brutal, je ne vois pas ce que vous voulez dire. ANTOINE. — Oh, toi, ça va, la BontĂ© mĂȘme » ! Bien sĂ»r, Louis fait preuve de fausse naĂŻvetĂ© il est trop habile pour ne pas voir ce que les autres veulent dire. Ici, le tour de force vient donc du fait que Louis semble vĂ©ritablement Ă©tonnĂ©. Alors, tout l'enjeu va consister Ă  faire tomber son masque d'acteur. Or justement, on trouve bien cette idĂ©e que Louis est un acteur, et mĂȘme surtout, un acteur de tragĂ©die et je te plains, et j’ai de la pitiĂ© pour toi, c’est un vieux mot, mais j’ai de la pitiĂ© pour toi, et de la peur aussi, et de l’inquiĂ©tude, L'allitĂ©ration le retour de sons consonnes en P est intĂ©ressante, parce qu'elle met en valeur trois mots la plainte, la pitiĂ©, et la peur. Ils ne sont pas lĂ  par hasard, comme le dit Antoine c'est un vieux mot ». On reconnaĂźt les sentiments qu'Aristote attribue Ă  la tragĂ©die la terreur et la pitiĂ©. En disant cela, Antoine se compare au spectateur d'une tragĂ©die dont Louis serait le HĂ©ros. Mais ce n'est pas si simple, et en accusant l'accusateur, Antoine brouille tous les rĂŽles de la tragĂ©die, Ă©coutez et malgrĂ© toute cette colĂšre, j’espĂšre qu’il ne t’arrivera rien de mal, et je me reproche dĂ©jĂ  tu n’es pas encore parti Le mal aujourd’hui que je te fais. Pas besoin de didascalie ici Toute cette colĂšre » avec le dĂ©monstratif, Antoine nous donne le ton de sa propre rĂ©plique, il porte un regard sur lui-mĂȘme, il n'est pas simplement devenu spectateur, il est restĂ© acteur et donne en plus des indications de mise en scĂšne. Mais ça va encore plus loin, avec la voix pronominale Je me reproche dĂ©jĂ  » ici Antoine se met Ă  juger ses propres actes, comme s'il Ă©tait lui-mĂȘme prĂȘt Ă  ĂȘtre condamnĂ©. On peut penser au personnage d'Agamemnon par exemple qui doit sacrifier sa propre fille IphigĂ©nie. Est-il bourreau, victime, spectateur impuissant de la volontĂ© des Dieux ? Et en effet, plusieurs Ă©lĂ©ments annoncent la fin prochaine, la mort de Louis tu n'es pas encore parti ». Le verbe partir » rĂ©sonne comme un euphĂ©misme une tournure attĂ©nuĂ©e pour parler de la mort. Antoine ne sait pas encore que son frĂšre est malade, et c'est lĂ  que se trouve toute l'ironie tragique les personnages Ă©voquent sans le savoir leur destin tragique. À ce moment de la piĂšce, Antoine est peut-ĂȘtre lui-mĂȘme un HĂ©ros tragique suspendu entre culpabilitĂ© et innocence. tu n'es pas encore parti ». c'est surtout une Ă©vocation du passĂ© au contraire, Louis est dĂ©jĂ  parti, une fois, et dĂ©jĂ  Antoine se sent responsable de cela ANTOINE. — Lorsque tu es parti, lorsque tu nous as quittĂ©s, lorsque tu nous abandonnas, je ne sais plus quel mot dĂ©finitif tu nous jetas Ă  la tĂȘte, je dus encore ĂȘtre le responsable, ĂȘtre silencieux et admettre la fatalitĂ©. Et alors, on voit l'enjeu de cette deuxiĂšme fois le mal qu'aujourd'hui je te fais » c'est un mal qui prendra un sens nouveau quand Louis mourra de sa maladie. Ce sont les survivants qui se sentiront coupables. Peut-ĂȘtre pas de sa maladie, mais de n'avoir pas Ă©coutĂ© les derniĂšres paroles. C'est l'un des grands mystĂšres de la piĂšce, auquel Lagarce ne rĂ©pond pas le choix de Louis de ne rien dire, est-ce finalement pour Ă©pargner ou pour accabler les membres de sa familles ? DeuxiĂšme mouvement Faire tomber les masques Ce deuxiĂšme mouvement, on pourrait l'appeler Faire tomber les masques » parce que Antoine parvient Ă  rĂ©vĂ©ler au spectateur les vĂ©ritables rĂŽles cachĂ©s sous la relation avec son frĂšre. Progressivement, on est amenĂ©s Ă  redĂ©couvrir Louis, peut-ĂȘtre, comme un Tartuffe difficile Ă  dĂ©masquer. Tu es lĂ , tu m'accables, on ne peut plus dire ça, tu m'accables, tu nous accables, je te vois, j'ai encore plus peur pour toi que lorsque j'Ă©tais enfant, D'abord, Antoine met en place tout un théùtre dans le théùtre, avec le dĂ©ictique tu es lĂ  » qui montre du doigt la situation d'Ă©nonciation elle mĂȘme, et le prĂ©sent d'Ă©nonciation je te vois » pour une action qui se dĂ©roule au moment oĂč il parle. La mĂšre, Suzanne et Catherine aussi sont lĂ , spectatrices pratiquement, elles pourraient venir s'asseoir parmi nous dans la salle. Et Antoine lui-mĂȘme va s'inclure parmi les spectateurs, en glissant de la P1 du singulier Ă  la P1 du pluriel, comme si Louis Ă©tait le seul Ă  ĂȘtre vĂ©ritablement acteur sur scĂšne, regardĂ© par tous. tu m'accables 
 tu nous accables ». Dans le mĂȘme temps, le verbe accuser » est remplacĂ© par accabler » les simples paroles prennent un poids pratiquement physique. On est accablĂ©s par un fardeau, mĂ©taphoriquement, par la culpabilitĂ©. C'est d'ailleurs l'image des Erinyes qui accablent Oreste de leurs tourments... À travers ce glissement de verbes, on retrouve le fameux procĂ©dĂ© de l'Ă©panorthose les personnages reformulent leurs propos. On ne peut plus dire ça » l'adverbe de nĂ©gation plus » rĂ©vĂšle bien la gradation Antoine, qui est moins Ă  l'aise avec les mots que son frĂšre, essaye de formuler sa dĂ©nonciation le mieux possible. Ce qui interroge aussi dans cette proposition, c'est la prĂ©sence du pronom indĂ©fini on ne peut plus dire ça ». Qui est ce on » ? Comme si cet accablement rejaillissait sur le public. Est-ce que nous ne sommes pas nous aussi ceux qui survivent ? Face aux silences de Louis, Antoine fait des phrases courtes, avec l'anaphore rhĂ©torique la rĂ©pĂ©tition en tĂȘte de vers du pronom Tu 
 tu 
 tu ». On entend presque tu nous tue », comme si Antoine accusait son frĂšre d'ĂȘtre meurtrier. Et en effet, cette idĂ©e que l'abandon est un meurtre est prĂ©sente dĂšs le prologue
 On la trouve aussi dans la derniĂšre piĂšce de Lagarce, Le Pays Lointain, oĂč le personnage de Louis est cette fois-ci entourĂ© de personnages du passĂ©, comme par exemple l'ami de Longue date. LONGUE DATE. — Revenir aprĂšs tant d'annĂ©es, revenir sur ses propres traces et avoir commis quelques crimes, et pourquoi non ? [...] Crimes ou abandons, [...] ce n'est pas loin d'ĂȘtre la mĂȘme chose. C'est donc tout le poids du passĂ© qui se cache dans ces quelques mots tu nous accables » et qui ressort soudainement avec le CC de temps lorsque j'Ă©tais enfant ». Ainsi, le plus cruel, ce n'est pas tant la mort inĂ©luctable que la rĂ©pĂ©tition d'un schĂ©ma passĂ©, qui garde la douleur et la trace des fois prĂ©cĂ©dentes, et qui explique ici le comparatif de supĂ©rioritĂ© encore plus peur ». Chez Lagarce, l'Ă©panorthose est plus qu'une figure de style, c'est un principe organisateur de l'intrigue. Alors que jusqu'ici il s'adressait Ă  Louis directement, Antoine entre maintenant dans un vĂ©ritable monologue et je me dis que je ne peux rien reprocher Ă  ma propre existence, qu'elle est paisible et douce et que je suis un mauvais imbĂ©cile qui se reproche dĂ©jĂ  d'avoir failli se lamenter, alors que toi, silencieux, ĂŽ tellement silencieux, bon, plein de bontĂ©, tu attends, repliĂ© sur ton infinie douleur intĂ©rieure dont je ne saurais pas mĂȘme imaginer le dĂ©but du dĂ©but. Ce n'est pas un hasard si on frĂŽle le lyrisme ici je suis un mauvais imbĂ©cile qui se reproche dĂ©jĂ  d'avoir failli se lamenter ». Le lyrisme, en littĂ©rature, c'est-ce que c'est ? L'expression musicale d'une douleur personnelle. C'est certainement le registre privilĂ©giĂ© des HĂ©ros tragiques PhĂšdre, par exemple, accablĂ©e par son destin, confie Ă  sa nourrice qu'elle songe au suicide. Or Antoine justement, refuse ce lyrisme je ne peux rien reprocher Ă  ma propre existence ». Cette existence ne sera pas personnifiĂ©e
 Il se dit ImbĂ©cile, c'est Ă  dire, Ă©tymologiquement, celui qui n'utilise pas de bĂ©quille, et donc d'une certaine maniĂšre, celui qui refuse d'utiliser des artifices. Alors que toi » le lien logique d'opposition vient crĂ©er une sorte de dyptique oĂč les deux frĂšres sont mis face Ă  face. Louis est justement celui qui utilise tous les artifices du HĂ©ros tragique
 MĂȘme son mutisme a quelque chose de lyrique, avec l'apostrophe Ô tellement silencieux ». Antoine est ensuite de plus en plus ironique en multipliant les hyperboles les figures d'exagĂ©ration Bon, plein de bontĂ©, tu attends, repliĂ© sur ton infinie douleur intĂ©rieure ». Cette bontĂ© excessive n'est pas sans rappeler celle de Tartuffe, le faux dĂ©vot, personnage d'autant plus inquiĂ©tant qu'il n'est pas caricatural comme pouvait l'ĂȘtre Harpagon par exemple. Et pourtant, l'ironie tragique fonctionne toujours Ă  plein rĂ©gime, parce que, celui qui jouait le personnage tragique, sur le point d'ĂȘtre dĂ©noncĂ©, est frappĂ© par la tragĂ©die... Le Malade imaginaire, qui tirait profit de ses douleurs intĂ©rieures, est tombĂ© rĂ©ellement malade
 La tragĂ©die prend le pas sur la comĂ©die
 Dans son journal, Jean-Luc Lagarce raconte comment Le Malade Imaginaire lui fit monter les larmes aux yeux Au milieu de la scĂšne entre les deux frĂšres, BĂ©ralde et Argan, qui est, je le dis toujours, la scĂšne qui me fit monter la piĂšce » [...] l'attention Ă©tait telle qu'Ă  l'instant essentiel que faire quand on est malade
 ? — Rien, mon frĂšre. [...] Les larmes me vinrent aux yeux. Quand Antoine dit qu'il ne peut qu' imaginer le dĂ©but du dĂ©but » de la douleur intĂ©rieure de Louis, il est certainement ironique, avec l'exagĂ©ration. Mais si on considĂšre que la maladie de Louis est rĂ©elle, toute cette ironie tombe Ă  l'eau, et se met au contraire Ă  souligner le tragique de la situation. TroisiĂšme mouvement Des reproches prĂ©monitoires Ce troisiĂšme mouvement, on pourrait l'appeler des reproches prĂ©monitoires » parce que Antoine semble avoir une vĂ©ritable prescience de ce qui est sur le point de se passer. La crise familiale a dĂ©jĂ  eu lieu dans le passĂ©, et en quelque sorte, elle prĂ©pare et aggrave la crise Ă  venir. Je ne suis rien, je n'ai pas le droit, et lorsque tu nous quitteras encore, que tu me laisseras, je serai moins encore, Dans tout ce dernier mouvement, le discours d'Antoine va plus loin qu'il ne l'imagine lui-mĂȘme, un peu comme la Pythie antique, qui annonce le dĂ©nouement des tragĂ©dies, mais dont les prophĂ©ties prennent un sens diffĂ©rent quand on en connaĂźt la fin... Par exemple, ce verbe quitter » lorsque tu nous quitteras encore » semble prophĂ©tique, surtout si on l'entend comme un euphĂ©misme pour dĂ©signer la mort. Mais il est tout de suite remplacĂ© par le verbe laisser » pour Antoine, le dĂ©part de Louis est volontaire, calquĂ© sur les abandons du passĂ©. La rĂ©pĂ©tition du passĂ© est d'ailleurs mise en scĂšne par la rĂ©pĂ©tition de l'adverbe encore » qui revient trois fois comme un refrain. Ici, deux figures de style se mĂȘlent et s'opposent la prolepse, qui annonce la suite, devient une analepse, un retour dans le passĂ©. Antoine mĂȘle la crise familiale et la crise personnelle, en passant de la P1 du pluriel lorsque tu nous quitteras encore » Ă  la P1 du singulier tu me laisseras ». Cette correction est Ă©mouvante, parce qu'elle prouve que la colĂšre d'Antoine provient bien d'un amour qui existait entre les deux frĂšres, malmenĂ© par le premier dĂ©part de Louis. Encore ici, les deux frĂšres sont diamĂ©tralement opposĂ©s je ne suis rien, je n'ai pas le droit » sous-entend que Louis au contraire est tout en se donnant le droit de partir, il est devenu paradoxalement le centre de l'attention. Dans ce schĂ©ma, on retrouve la parabole du fils prodigue le frĂšre qui est parti sera toujours bien accueilli, malgrĂ© les protestations de celui qui est restĂ©. On peut aussi penser au rĂ©cit biblique de CaĂŻn et Abel, les deux frĂšres devenus ennemis, parce que Dieu aurait refusĂ© le sacrifice de CaĂŻn... Mais dans notre cas de figure, quel est le frĂšre qui a tuĂ© l'autre ? Et on doit se poser la question, dans la modernitĂ©, n'est-ce pas l'absence mĂȘme de Dieu qui est coupable ? Et en effet le discours d'Antoine bouleverse tous les rĂŽles Quand tu me laisseras, je serai moins encore » paradoxalement, c'est bien le frĂšre encore prĂ©sent qui entre dans le nĂ©ant, dans une pĂ©nitence impossible juste lĂ  Ă  me reprocher les phrases que j'ai dites, Ă  chercher Ă  les retrouver avec exactitude, moins encore, avec juste le ressentiment, le ressentiment contre moi-mĂȘme. Le mot juste » laisse penser que peut-ĂȘtre le titre de la piĂšce s'applique aussi Ă  Antoine. Car pour lui, la tragĂ©die, c'est celle qui va suivre la mort de Louis, celle du ressentiment », de la culpabilitĂ© impossible Ă  effacer. Une chose pire que la fin du monde, n'est-ce pas le sort de ceux qui restent aprĂšs l'apocalypse, dans un monde vide, dans un monde sans dieu ? Alors que dans les piĂšces de Beckett, des hommes, vagabonds, attendent en vain le retour de Dieu, assimilĂ© Ă  une vulgaire chaussure
 Chez Lagarce, les personnages assistent encore une fois au dĂ©part du dramaturge lui-mĂȘme, auteur qui expliquait leur existence... et en l'absence duquel il devient difficile de retrouver avec exactitude le sens des mots appris par cƓur. Conclusion Notre passage est le point culminant de la piĂšce, et il peut ĂȘtre lu Ă  plusieurs niveaux. D'abord, comme un drame familial le conflit entre deux frĂšres, oĂč celui qui est restĂ© dĂ©nonce le mal commis par celui qui est parti. Mais on peut le lire aussi comme une entreprise de dĂ©mystification de la tragĂ©die, et de son Ă©ternel retour, d'une reprĂ©sentation Ă  l'autre, d'une piĂšce Ă  l'autre, d'un HĂ©ros tragique Ă  l'autre, mais qui garde jusqu'au bout son pouvoir de fascination sur les spectateurs. Et enfin, on pourrait peut-ĂȘtre y voir la rĂ©flexion mĂ©taphysique d'un philosophe dramaturge sur les doutes des hommes cherchant, au-delĂ  des ressentiments, une nouvelle morale dans un monde oĂč Dieu est mort, oĂč Dieu peut-ĂȘtre ne cesse de mourir. En guise d'ouverture, on peut certainement reconnaĂźtre ici les thĂ©matiques de la philosophie de Nietzsche, mais que Lagarce dĂ©passe, parce que chez lui, le dramaturge qui sert de dieu Ă  ce petit monde est lui-mĂȘme humain, trop humain. [...] Soutenez le site et accĂ©dez au contenu complet. ⇹ Lagarce, Juste la fin du monde 🔎 Partie 2 scĂšne 3 Explication linĂ©aire au format PDF ⇹ Outil support pour rĂ©aliser un commentaire composĂ©. ⇹ Lagarce, Juste la fin du monde - Partie 2 scĂšne 3 texte ⇹ Lagarce, Juste la fin du monde 🃏 Partie 2 scĂšne 3 axes de lecture ⇹ Lagarce, Juste la Fin du Monde 🎧 Partie 2 scĂšne 3 explication linĂ©aire en podcast

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